Bonsoir,
Jamais, je n'ai autant prêté attention au regard de l'autre. Tout s'y lit. Pas besoin de regarder autre chose. La semaine dernière, j'ai lu dans le regard de Laurence, fille de patient, tout ce qu'elle pouvait ressentir à ma place. ll y avait dans le regard d'Alain et Pierre-Alain une vraie chaleur, celle du feu qui exhorte au combat et celle de la flamme de l'espoir. Et ces mots recus de la femme d'Alain, des mots d'encouragement, elle qui est infirmière et a perdu sa tante de la même maladie. "Dix huit mois". Boom. Cette réalité qui tout à coup anéantit la flamme de l'espoir.
Dans le regard de Michel, le poids de toute cette émotion, que l'on ne peut contenir. Les mots aussi, vrais, puissants, lucides, empreints de sagesse. Et toi, Jan, tu m'a promis de me porter main forte. Un jour, tu m'as demandé un service. Je t'ai mis tout ce que je pouvais à ta disposition, tout absolument tout, tout de suite. Je n'ai même pas refléchi. C'était tellement normal. Par amitié et puis même. Pour un chrétien, la notion de Bon Samaritain est telle que je ne me suis même pas posé la question une seule seconde. Tu le sais, tu ne l'as pas oublié. Tu as la force et la droiture des gens reconnaissants, des gens de valeur. Tu ne disparaîtras pas, je le sais.
Et puis samedi, départ pour Chamonix avec les enfants. Regards heureux des enfants à la perspective de découvir la montagne ou la montagne l'été. Suivant la formule habituelle - celle qui permet de cacher la difficulté à la marche - taxi+TGV+taxi. Arret à Genève chez Michel. Vue su le lac Léman. Michel, que je connais depuis près de 20 ans. Les enfants se rappelleront longtemps de ses propos "travaillez dur à l'école, étudiez le plus longtemps possible et apprenez les langues, surtout l'anglais". Sortant d'un père ou d'une mère, de tels propos auraient été oubliés aussi vite qu'entendus. Mais les enfants m'en ont reparlé aujourd'hui. Ils n'oublieront pas ces trois phrases, Michel. Tu les as tellement impressionné.
Et puis, ces mots prononcés par Michel alors que je le regardais fixement, le reste de mon regard perdu dans l'immensité de ce lac Leman en toile de fond.
- "comme toi, je suis croyant"
- "le mental peut accomplir des miracles"
- "de tout drame, peut surgir des éléments positifs"
- "quand tu peines, dis toi que je pense et que nous sommes plusieurs à penser à toi, intensément".
Ces deux dernières phrases, Michel, m'ont portées aujourd'hui, sache le. Non, je ne serais pas en vacances un 5 juillet avec les enfants si je n'étais pas porté par la maladie, je n'aurais pas ce dégré de communion avec eux. J'ai mal - marcher est devenu une vraie souffrance. J'étais marathonien, je marche avec plus de peine qu'un viellard. Alors, je me rappelle cette communion de pensée, communion de prières et parviens à suivre les enfants. Ils m'aident, me donnent la main et ralentissent le pas. Ils ont compris, ils savent du haut de leur intelligence intuitive.
Luca m'a appelé aujourd'hui. Je l'ai aidé à réaliser ses affaires en Croatie. Il habite maintenant Genève. Il m'a appelé pour hurler de toute ses forces "Thierry, why you, it is unfair". Eric, toi aussi, tu m'a écris, "c'est injuste". Je sais. Putain, pourquoi moi ? Après le verdict, cette question m'a hanté. Depuis, la foi m'a aidé à la dépasser. J'ai arrêté de me la poser.
Je vais tout donner pendant ces 2 semaines avec les enfants. Enfin, donner ce que je peux donner. Je suis tellement faible. Heureusement, mini-clubs et nounou permettront de limiter ce que je devrai donner physiquement. Partie de dames chinoises avec Adrien ce matin. Ex-aequo, alors qu'il n'a que 5 ans. Je suis fier de lui. Ce matin, à l'église de Chamonix, ils ont recu le signe de croix sur le front. Spontanément, ils ont accompangé la communion. J'ai prié, prié, en regardant la croix. Dans l'église de Chamonix, sous la croix pendue au plafond, figure les mots suivants "tout est consommé". Mots graves, intenses pour le malade que je suis.
"Vous etes forcément inquiets et anxieux, mais rassurez vous on le serait pour beaucoup moins que cela" m'a dit mon médecin coordinateur à la Salepé. C'est vrai. J'ai refusé l'hospitalisation de jour du 11 juillet. De toute façon, rien n'arrête la maladie, même pas le rilutek. Reportée en Septembre, pour me permettre de jouir intensément des enfants pendant ce séjour à Chamonix. Laurence - fille de patient - et Richard - dont la maman est décédée du même mal - m'ont prévenu. Cette hospitalisation de jour "c'est terrible, c'est une vrai bombe dans la figure, une vrai immersion dans le réel de la SLA, entouré de patients atteint de la maladie à tous les stades, la réalité nue et sans fard de la maladie". Fini les discours académiques sur les espérances de vie médianes ou moyennes (et la distinction subtile entre les deux), sur les quelques pourcents infimes de cas de rémission. Ce sera la plongée dans le monde réel de la Sclérose Latérale Amyotrophique, incurable, "maladie devenue cimetière à molécules faute de moyens" comme me l'a dit un spécialiste tout en rajoutant "Si on veut faire une belle carrière dans un groupe pharmaceutique, la dernière et la pire des choses à faire serait de proposer un programme de recherche sur la SLA". Réalité crue et insoutenable.
Demain, je jouerai la revanche de la partie de Dames chinoises avec Adrien. Il gagnera, je le sais et je lirai dans son regard beaucoup, tellement de choses. "La vie est belle" pour reprendre l'intulé d'un beau et grand film.
"The last lecture" disponible sur You Tube. Beau et poignant.
Je vous embrasse.
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